Après notre traversée patagonne, nous décidons d’aller user nos roues sur la Carretera Australe, au Chili. Cette route, qui n’est reliée pour le moment à aucune autre, du moins par voie terrestre (nonobstant quelques cols perpendiculaires la connectant avec l’Argentine) dessert une grande ville et quelques villages rarement très importants. Elle fut construite sous l’impulsion de Pinochet qui voulait par-là créer un acte symbolique reliant les diverses parties du pays. Le Lonely Planet la décrit ainsi : « la route australe, l’une des plus extrême du monde, longe sur 1240 kilomètres rarement goudronnés forêts primaires, glaciers, fermes de pionniers, rivières turquoises et fracas du Pacifique ». La liste des précautions à prendre avant de l’emprunter fait une demi page du guide… Nous voilà prévenu !
Avant de pouvoir emprunter cette route mythique, il nous faut pouvoir entrer au Chili. Les douaniers chiliens sont assez tatillons et surtout il y a des restrictions fortes quant à la nourriture que l’on peut y introduire : les produits frais sont interdits et il nous reste encore quelques victuailles dans le frigo. En bons français, il nous semble aberrant de les jeter… Ni une, ni deux, nous cachons sous le matelas notre beurre, notre jambon et notre fromage (pourtant, vu la texture et le goût de ce dernier, il ne risque pas de faire mal à une mouche : il est du genre caoutchouc mou plastifié. Ceux qui ont eu le bonheur de voyager dans des pays où le vrai fromage serait pris pour un composant chimique entrant dans la fabrication d’une bombe comprendront).
Nous arrivons à la frontière, d’autant plus tendus que nous transportons aussi dans nos coffres une bonne trentaine de bocaux (confitures, pâtés, fois gras et autres cèpes ariégeois) plus ou moins « faits maison » ainsi que quelques bouteilles de vins (tsss, non, on vous dira pas combien !). Bref, c’est un moment sérieux.
Nous nous garons devant la barrière interdisant le passage, faisons un briefing aux enfants et entrons dans le poste. Personne. A bout d’un bon moment, nous voyons un douanier sortir d’un baraquement adjacent, se rhabiller, la mine pas très réveillée. J’imagine que la sieste était bonne ! Il se contentera de tamponner nos passeports et de nous faire le papier autorisant l’importation de Caracol, avant de s’en retourner à la sieste. Pas d’inspection sanitaire ! Ouf!
Nous repartons goguenards. La vallée Chacabuco que nous descendons est superbe. Elle est en train d’être aménagée en réserve naturelle et on comprend pourquoi ! Des milliers de guanacos paissent tranquillement dans une steppe couleur blé doucement vallonnée. Nous passons à coté d’une belle faille sismique nous rappelant que nous sommes dans les Andes et que la terre y bouge.
Notre premier bivouac chilien sera dans ce paysage de rêve. Avec les enfants, nous jouons les robinsons, nous allumons notre premier feu de camp et faisons griller notre jambon et notre salami, si jalousement et illicitement gardés.
Le lendemain, il fait un temps superbe, ciel bleu, pas de vent. La vue sur les eaux turquoises du rio Baker, surplombé par des sommets enneigés, est superbe !
Cette partie du Chili a la réputation d’être très arrosée, et nous pensons alors que cette réputation est usurpée. Erreur colossale ! Nous le découvrirons par la suite.
Arrivés à Cochrane, nous faisons quelques courses. Je passe chez le boucher : 75 ans bien tassés, la casquette de titi parisien visée sur la tête, des lunettes en cul de bouteille, le sourire malicieux. Le courant passe et nous discutons un bon moment. Sa boutique fait dans les 15 mètres carrés et la viande (que de bœuf) pend à même le plafond ou repose directement sur le comptoir. Remarque la température n’est pas élevée. J’achète le minimum requis pour un bon asado, c’est-à-dire un bon kilo, qui s’avèrera la meilleure viande que nous ayons mangé depuis que nous sommes ici ; c’est dire !
Nous décidons de ne pas descendre vers le sud jusqu’au village le plus éloigné de la route australe (qui est à 200 bons kilomètres, réputés difficiles). Nous partons donc vers le nord. Le temps est redevenu normal, c’est-à-dire qu’il fait beau … plusieurs fois par jour. Entre, c’est alternance de pluie, de bruine, de vent. La température a baissée et nous allumons le chauffage le matin pour remonter les 10 degrés qu’il fait à l’intérieur du camping-car jusqu’à un confortable 15-16 degrés. Nous attendent quelques centaines de kilomètres de piste, coupées en leur milieu par 200 kilomètres de goudron.
Qu’il fut loin le goudron ! En effet la piste est détestable ! Nous roulons à des moyennes journalières de 20 km/h, ce qui se traduit par des portions de piste où nous frisons le 40 km/h et des portions où nous nous trainons à 10 km/h.
Le bruit dans le camping-car est parfois assourdissant et l’humeur de l’équipage au diapason. Les enfants s’exclament de joie lorsque nous franchissons un pont car le revêtement est presque toujours en béton. 10 secondes de silence !
Cette première portion de route est superbe.
Cependant, il nous manque souvent la partie haute de la photo, c’est à dire les sommets enneigés, pour vraiment apprécier cette route ;-)
Ce sera une constante de notre parcours chilien. Vue dégagée (entre les gouttes) jusqu’à 700 ou 800 mètres d’altitude puis nuages au-dessus. Un Suisse rencontré sur la route, résumera la situation, non sans humour, comme ceci : « Ici, tu sais qu’il y a du soleil, tu sais qu’il y a des glaciers mais le problème, c’est qu’entre eux et nous, il y a les nuages ! ». Heureusement, il y a le premier plan : la rivière colorée, le lac General Carrera, les cabanes de pionniers, les enclos à bétail.
Les constructions sont souvent en bois, posées à même le sol ou sur de petits pilotis.
On imagine l’humidité qu’il doit y avoir à l’intérieur. D’ailleurs, il n’est pas rare de voir dans les jardins des tas de bûches de plusieurs dizaines de mètres cubes ! « Quand pionnier coupe bois, hiver sera rude » !
Nous découvrons aussi un autre visage de la colonisation : les forêts primaires brûlées. En effet, des milliers d’hectares brûlés, partout où se portent les yeux. Nous les verrons jusqu’à notre sortie du Chili. Le gouvernement chilien a donné il y a une cinquantaine d’année une prime au déboisement afin de permettre la colonisation de cette partie du Chili. Les incendies ont duré 3 ou 4 ans, ravageant toute la région.
Nous arrivons à Puerto Rio Tranquillo à la tombée de la nuit. Il y est possible de faire une excursion en bateau pour aller voir une curiosité géologique appelée la chapelle de marbre. Notre nuit n’aura rien de tranquillo … Nous sommes obligés de bouger de place à 4 heures du matin car le vent à changé de direction et nous le prenons de travers. Pour qui n’a jamais dormi dans un camping-car par vent de travers, il faut imaginer qu’à chaque rafale, vous avez l’impression que le camping-car va se retourner. C’est génial. Le lendemain, il tombe des cordes et le vent est toujours là. Vu la tête des bateaux, qui n’ont pas d’abris, nous prenons la décision, courageuse, de ne pas tenter la sortie sur le lac…
La route est égale à celle de la veille. Nous lisons sur le guide qu’à tel ou tel endroit, le paysage est fantastique. Sans doute : entre le 15 janvier et le 15 février ! Nous pensions que nous étions limite question climat, maintenant nous le savons. De temps en temps le soleil apparaît quand même et nous dévoile les montagnes. La végétation a changé et est de plus en plus touffue. Des roseaux poussent au bord de la route ainsi que des lengas tortueux magnifiques. Vers la fin d’après-midi, la route asphaltée est là ! Vous imaginez le bonheur. Nous écoutons le silence dans l’habitacle… en montant un petit col et en suivant une route sinueuse – mais ASPHALTEE ! – qui nous mène au centre des visiteurs de la Reserva Cerro Castillo.
De l’autre côté de la route, se trouve un camping au milieu des arbres, avec même des cabanes en bois sur chaque emplacement pour manger à l’abri de la pluie. Dans ces cas-là, le rituel est bien en place. Plein d’eau pour prendre une bonne douche, allumage du feu pour l’asado, débouchage du vin, jeux d’aventuriers (« Là, Titouan, on dit qu’on chasse le guanaco et qu’on construit une cabane d’indien ! » s’exclame Estéban), etc.
Le matin, il pleut et la pluie se transforme en neige. Les enfants sont comme fous ! Elle est bien lourde et collante et en 15 minutes, elle tient au sol. On range tout en catastrophe car nous sommes garés sur de l’herbe et qu’il y a une montée en terre pour sortir du camping et que l’idée de sortir les plaques de désensablement sous la neige ne m’enchante guère… Nous nous en sortons sans problème. Merci la propulsion.
Nous nous rendons alors à Coyhaique, seule vraie ville de la région, où nous trouvons une laverie (il était temps…), un supermarché digne de ce nom, un wifi performant à la station service.
Du coup, nous passons deux journées complètes à surfer, mettre à jour le site, téléphoner et skyper (oui, le verbe skyper existe, premier groupe même!). On n’imagine pas le plaisir qu’il y a à retrouver le monde extérieur après quinze jours déconnectés ...
Nous repartons vers le nord. Nad nous dit que le guide indique une jolie chapelle en bois de construction chilote (île de Chiloé) dans le premier village que nous croisons. Nous demandons alors à plusieurs personnes où la trouver et nous ne rencontrons que réponses circonspectes et pour le moins incompréhensibles. Nous cherchons encore un peu mais, découragés aussi par le temps, (au fait, il pleut) nous laissons tomber. Tant pis, on continue. Nous arrivons après une trentaine de kilomètres à un second village. Et là, surprise, qu’est-ce qu’on voit ? Ben une chapelle en bois évidemment. Notre copilote s’était juste trompée de village. Don’t act ! Fou rire dans le camion.
La piste pour aller au parc national Queulat est démente. Elle passe dans une forêt primaire superbe qui semble tropicale.
La route se referme sous le poids des plantes ! Il faut également passer un col sur une piste détrempée et en cailloux roulants, avec de multiples épingles à cheveux. Caracol passe comme un chef malgré ses 4 tonnes. Là aussi, merci la propulsion !
Nous arrivons au bord de fjords bordant le Pacifique. Le soleil se dévoile un instant.
Nous rentrons dans le parc. Ni une ni deux les VTT des petits sont sortis et ces derniers en tenus de combat, pardon de pluie, sont dehors à vivre des aventures… Même le barbecue est abrité. Le luxe.
Et ça tombe bien, nous avons un bon morceau de viande à faire griller et il y a du bois bien sec sous les barbecues… Chouette !
Le lendemain, le temps est toujours à la pluie, mais celle-ci à l’air bien installée pour la journée.
Nous faisons une chouette balade tantôt sous la pluie, tantôt dans la forêt qui nous protège. Il est impossible de sortir du sentier tant elle est impénétrable.Nous aurons un court aperçu du glacier depuis la lagune, mais rien de mieux. Nous rentrons au camping-car nous sécher.
Après une bonne nuit, nous nous levons sous un ciel clément.
Zou, on repart faire la balade permettant d’apercevoir le glacier. Cette fois, nous avons de la chance et pouvons admirer cette montagne de glace suspendue qui se déverse en une cascade vertigineuse.
Nous repartons et trouvons la route. Un pan de montagne s’est effondré et il faut prendre un bac pour contourner l’éboulement.
Le chargement de Caracol ne se fait pas facilement car son porte-à-faux le fait toucher entre la route et la passerelle du bateau. Heureusement l’équipage a l’habitude et sort de bons gros madriers en bois qui me permettent de monter à bord sans frotter.
Et c’est parti pour 30 minutes de bateau sur un fjord du pacifique. Magique.
Après être descendus sans soucis, nous reprenons la route pour quelques kilomètres et nous arrêtons à des bassins d’eau chaude naturels. Ils sont à 39-40°, au bord du fjord. Nous y passons la journée à nous relaxer. Enfin, se relaxer : tout est relatif dans une piscine de 4 mètres sur 3, avec deux enfants qui ne prennent que des douches depuis 2 mois et qui trouvent que ce mixe piscine-baignoire est propice à l’agitation… Tout le monde en profite pour se refaire une beauté.
Le lendemain, le temps est de nouveau à la pluie. Au moment de partir, nous embarquons un couple de français. Aurélien et Magalie voyagent en sac à dos et stop. Nous les acceptons avec plaisir en les prévenant tout de même que notre rythme est assez … lent vu l’état de la route. Nous trouvons une fabrique de fromage. Vous pensez bien, 4 français devant un panneau annonçant un tel bonheur, on se jette dehors ! Bon, ok, le fromage n’est affiné que 10 jours. Mais psychologiquement, c’est important !
Nous n’arrivons pas très loin à la tombée de la nuit. Aurélien et Mag plantent leur tente derrière l’église et nous bivouaquons devant, partageant un repas semblable au climat, c’est à dire arrosé…
Au petit jour, direction de la frontière. Tout le monde attend le soleil avec impatience ! Nous remontons une jolie vallée partagée par les eaux d’une rivière turquoise et le ciel s’éclaire au fur et à mesure que nous approchons de la frontière. Nous faisons un pique-nique sur la place de Futaleufu, ville frontière, au soleil, assis dans l’herbe : le bonheur.
Le passage de la frontière se fait sans mal. Titouan se voit offrir de goûter le maté du douanier. Il aspire trop vite et se brule la langue sous les rires des douaniers et gendarmes qui pensaient lui avoir fait une bonne blague. Mais il ne s’est pas laissé démonté et leur a demandé de re-gouter. Alors, c’est très paternalistes, en lui conseillant de boire lentement qu’ils l’aident à retenter l’expérience. Un bon moment.
Nous quittons cette belle et rude région qu’est le Chili et sa Carretera Australe. Nous avons trouvé cette région austère, sauvage, et dure ! Le peu de paysages que nous avons vu dégagés étaient magnifiques, mais voilà, on en a vu peu ! Nous étions en retard de un mois pour bien l’apprécier pleinement. L’eau est omniprésente, sous différentes formes : cascades, rivière, neige, pluie etc. Ce qui rend la végétation exubérante, lui donnant parfois une allure de forêt tropicale, souvent impénétrable. Ce fut là une bonne surprise.
Nos premiers tours de roues côté argentin nous montrent que nous avions raison, le soleil est là, mais ce sera une autre histoire.
A bientôt pour de nouvelles aventures ! Et pour le CinéCaracol, c'est dessous.
Voilà en gros l'itinéraire que nous avons suivi depuis le Passo Roballo.